L’utilisation des drones armés par « salves » ou en « essaim », parfois de façon kamikaze, a été constatée dans plusieurs conflits récents, comme en Libye et dans le Haut-Karabakh. Cet usage va au-delà des missions de renseignement ou d’éliminations ciblées dans le cadre d’opérations de contre-terrorisme. Comment analysez-vous ce phénomène ?
L’utilisation par salves ou en essaim de drones armés joue aujourd’hui sur la complémentarité d’emploi avec les armes classiques. Il s’agit, par des déploiements en nuée, d’obtenir la saturation de défenses adverses pour percer un dispositif ou se protéger.
La saturation et la surprise ont toujours été recherchées sur les champs de bataille. Les gerbes de flèches des longbows [« archers »] anglais [contre l’armée du royaume de France] lors de la bataille de Crécy, en 1346, les rafales de balles des mousquetaires de la dynastie Ming [XIVe-XVIIe siècles] alignés par rangées de trois, ou les canonnades de l’artillerie de campagne, encore pratiquées au début de la première guerre mondiale, ont eu, dans le passé, des fonctions semblables d’appui de la manœuvre.
L’emploi des drones en essaim renoue en réalité avec une approche du combat tactique qui avait été un peu perdue dans la plupart des conflits post-guerre froide, caractérisés par la très forte sélectivité des frappes et la limitation des pertes en matériel. Les salves de drones, a contrario, admettent un niveau de perte élevé. La destruction d’un drone n’est pas aussi préjudiciable que celle d’un avion de combat beaucoup plus coûteux. Surtout, elle ne met pas en danger la vie d’un pilote.
Ce qui est nouveau avec les salves de drones, c’est une certaine imprédictibilité. Les drones peuvent avoir une autonomie et une course variables qui compliquent sérieusement les engagements.
L’armée française est faiblement équipée en drones armés, et par ailleurs potentiellement vulnérable face à ces « salves » – en particulier l’armée de terre et les forces spéciales. Comment expliquer ce retard, même si la révision de la loi de programmation militaire, présentée au Parlement les 22 et 23 juin, a prévu d’y remédier ?
La France marque dans ce domaine un retard comparable à celui constaté dans les années 1990 pour les missiles de croisière. Américains et Britanniques, au début de la guerre du Kosovo [1998-1999], ont tiré des missiles de croisière. La France en était incapable.
Pour des raisons idéologiques, et par conservatisme au sein des armées, il a fallu attendre 2017 pour que la France se dote de drones offensifs. En Syrie ou au Mali, ces dernières années, le renseignement militaire français en était réduit à désigner des cibles aux drones américains et britanniques. Dans la lutte de notre pays contre le terrorisme, pour les contempteurs de cette arme, que de contorsions morales et d’hypocrisie !