Discours lors du pélerinage de Médan du 3 octobre 2021

D

Il pleut souvent chez Zola, à Médan comme dans la plupart de ses romans. Curieusement d’ailleurs, chez Zola, la pluie n’est jamais la pluie c’est toujours une métaphore. Elle est en soi symbolique d’une évolution du contexte romanesque ou porteuse d’un message politique, économique, social ou sentimental.

La pluie, entre les rayons du soleil tombe sur Paris « comme des pièces de vingt francs » dans la Curée ; la Beauce boit goulûment la pluie « lente, douce, interminable » dans « un bruit de gorge universel où il y a du bien-être et la promesse de fructueuses moissons dans la Terre ; « Entends-tu, Ninon, la pluie battre nos vitres (…) c’est une de ces soirées où le pauvre grelotte » dans la Fée amoureuse des Contes à Ninon. La pluie détrempe les amoureux éconduits ou maltraités par Nana, la pluie alourdit la capote et pèse sur les épaules du soldat dans le désastre politique et militaire qui constitue le récit de la Débâcle. « Et de ce moment, les coups de pluie frappèrent la ville de toute part. On eut dit que le ciel se jetait sur la terre et semblait annoncer la fin de la cité » dans Une page d’amour. On pourrait multiplier les exemples, chers Alain Pagès et Olivier Lumbroso, peut-être, même, faire un jour de ce thème un dossier des cahiers naturalistes dont je salue le 95ème numéro récemment paru. Cet ouvrage comporte deux passionnantes séries d’articles l’une sur Zola et les médecins et l’autre consacrée au naturalisme au féminin. Vous y trouverez aussi le texte des allocutions prononcées ici l’an dernier par Charles Dantzig et Philippe Oriol.

Zola, vivant aujourd’hui, se serait forcément emparé littérairement des désordres climatiques qui frappent notre pays et la planète pour en faire un sujet de réflexion de ses romans. Il n’aurait pas été indifférent aux périls qui menacent notre environnement. Il aurait aussi donné l’alerte sur les risques qu’affronte en ce moment la démocratie, lui qui pensait que le rôle d’un écrivain en démocratie était de « parler de tout et à tous ». Il pleut en effet sur notre société comme il pleut sur le monde.

Zola, vivant aujourd’hui, se serait forcément emparé littérairement des désordres climatiques qui frappent notre pays et la planète pour en faire un sujet de réflexion de ses romans.

Louis Gautier

Il y aura un an, dans quinze jours, Samuel Paty était assassiné. Sa mort fut une mise en échec de la République et une mise en évidence de la détresse de notre système scolaire et des enseignants face à la montée de l’intolérance et des tensions dans notre société. On fit lire à la Sorbonne le beau texte de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et institutrices : « Vous tenez entre vos mains l’intelligence et l’âme des enfants (…), ils seront citoyens, ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme ». La leçon de ce terrible évènement a-t-elle porté ? Je n’en suis pas sûr. Alors que s’engage une année de campagne électorale pour la présidentielle et les législatives, les débats ne portent guère sur les maux d’une société d’abord malade d’elle-même et les remèdes pouvant la guérir mais, pour les aviver ou tenter de les éteindre, sur des foyers de haines allumés par des boutefeux irresponsables.

Notre société est malade, pas simplement de la COVID. Plus gravement elle est atteinte dans la confiance que portent les citoyens aux Institutions, dans leur adhésion pleine et entière aux principes de la démocratie et de la République, dans l’application des valeurs de respect de l’autre et de tolérance, si chères à Zola. Elle est aussi malade – comme le faisait justement remarquer dans un superbe article paru en mars dernier, Mireille Delmas Marty qui nous fait aujourd’hui l’honneur et l’amitié d’être notre oratrice- parce que le rêve d’un monde sans risque, sans crise et sans malade conduit inéluctablement au cauchemar des sociétés de la peur. Les sociétés démocratiques ouvertes, sous le coup des fléaux, terrorisme, pandémie, attaques cyber, changent, se referment sur elles-mêmes au risque de se transformer en sociétés du contrôle et de la suspicion.

Notre société est malade, pas simplement de la COVID. Plus gravement elle est atteinte dans la confiance que portent les citoyens aux Institutions, dans leur adhésion pleine et entière aux principes de la démocratie et de la République, dans l’application des valeurs de respect de l’autre et de tolérance, si chères à Zola.

Louis Gautier

Ailleurs, notamment en Asie, cette société de surveillance est déjà en place, cadenassant les relations sociales et la liberté politique.

La démocratie est fragile. Dans l’histoire plurimillénaire de l’humanité c’est en outre toujours une exception. Nous l’avions oublié. Il y eut le magnifique mais bref moment grec, et puis à partir du début du XIXème une période d’émergence et de combat pour installer la démocratie en Europe et en Amérique, puis pour favoriser au XXème siècle son développement planétaire. L’Occident rassuré par la continuité de sa propre aventure démocratique, persuadé qu’après la guerre froide la cause de l’Etat de droit et de la démocratie était entendue s’est aveuglé. Par excès de confiance, il a commis des erreurs. Dans la lutte contre le terrorisme et les guerres d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, l’Occident s’est lui-même en partie piégé. On n’exporte pas la démocratie et les droits de l’homme au canon. Une dynamique surtout s’est brisée. Aujourd’hui ces erreurs sont exploitées par des régimes ennemis des idéaux et des pratiques démocratiques partout en recul. Le réchauffement climatique fait fondre la glace des icebergs et des sommets, accroit les précipitations violentes et soudaines, le niveau de la mer monte. Pareillement, face au débordement des régimes autoritaires partout dans le monde, les pays démocratiques sont comme des îles menacées par la hausse des flots.

Faut-il, chère Mireille Delmas Marty, croire alors à la puissance du droit et aux forces imaginantes du droit pour faire échec à des régressions juridiques d’ores et déjà constatées et empêcher le viol récurrent d’un double interdit, celui intimé aux Etats de déroger à certains droits universels et celui fait aux hommes de transgresser certaines valeurs, ces droits et ses valeurs qui donnent leur sens à l’humanité à travers un droit international qui les reconnait comme tels ? Ou faut-il craindre inversement de retomber dans un relativisme juridique mondial ?

Je vous laisse à la tribune répondre tout à l’heure. Mais le titre même de votre intervention : Durer et grandir dans l’imprévisible laisse pointer plus d’inquiétudes que de certitudes. Nous sommes impatients de vous entendre.

Quand avec Pierre Bergé, Martine Leblond Zola et Charles Dreyfus nous avons projeté la réalisation d’un musée Dreyfus ici, à Médan, chez Zola, nous avions conscience d’accomplir un devoir de mémoire, à la fois pour honorer Zola et pour conserver vive les leçons de l’affaire afin de les transmettre à d’autres générations.

Celle de Charles Dreyfus, de Pierre Bergé et de leurs contemporains a été témoin de l’abomination des camps. Certains, dans leur enfance, furent victime des persécutions nazies et du régime de collaboration de Vichy. La mienne, eut la complète révélation du crime de génocide, de ce que fut la Shoah et la politique d’extermination des juifs.

Faire ce musée pour nous était une évidence qui s’est transformée en une urgence avec la remontée du racisme et de l’intolérance dans notre pays depuis quelques années. Rester mobiliser contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre toutes les formes d’exclusion (ayant évoqué le nom de Pierre Bergé je ne peux oublier les années de lutte contre le Sida, contre la maladie mais aussi pour contre l’opprobre social et la relégation subis au départ par les malades.)

Au cours de cette 106ème édition du pèlerinage de Médan, 119ème anniversaire de la mort de Zola, je suis donc très heureux de vous annoncer l’inauguration le 26 octobre prochain, sous le haut patronage du président de la République, puis l’ouverture au public à la fin de ce mois du musée Dreyfus et de la maison de Zola entièrement restaurée.

Musée Dreyfus / Maison Emile Zola

Rien de cette superbe réussite n’aurait été possible sans l’engagement constant au quotidien de Martine Leblond Zola et d’Anne-Gaëlle Duriez, sans le talent de Björn Dahlström le conservateur de la maison et préfigurateur du musée, Christophe Martin le scénographe, Philippe Oriol le directeur scientifique du projet, Jean Michel Rousseau et Reda Isolah, nos architectes et Yves Morand délégué à la maîtrise d’ouvrage.

Musée Dreyfus, le terme est impropre, même si de très nombreux documents, certains exceptionnels, y sont présentés de façon inédite. Il s’agit vous le savez d’un lieu pédagogique conçu pour recevoir la visite de collégiens et de lycéens avec leur professeur.

En fait je voudrais qu’à la fin de leur visite et à la question de Zola contenue dans sa lettre à la jeunesse parue en 1897, 9 ans après celle qu’adressa Jaurès aux instituteurs : Où allez-vous jeunes gens ?

Après la visite de ce musée il puisse répondre comme Zola le leur proposait :

« Nous allons à l’humanité, à la vérité, à la justice. »

Je vous remercie.

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