Le sujet a soixante-quatre ans d’existence. Pour les uns, notamment la France, c’est un impératif; pour les autres pays, cela reste une incantation, voire une chimère. Le serpent de mer de la défense européenne a, pourtant, rarement été autant d’actualité, ces temps-ci. Depuis son discours à la Sorbonne, en 2017, Emmanuel Macron, qui ambitionne de devenir le leader de l’Europe, en a fait un marqueur de sa politique. Le président français multiplie les initiatives, les rapports et les déclarations volontaristes contre les coups de boutoirs de Donald Trump.
En visite sur le porte-avions Charles-de-Gaulle , dans la nuit du 13 au 14 novembre, Macron a de nouveau plaidé pour une défense européenne plus « autonome » vis-à-vis de l’allié américain. Quelques jours plus tôt, le chef de l’État avait appelé de ses voeux une « véritable armée européenne » – sans en préciser les contours – afin de mieux protéger le continent contre la Chine et la Russie. A cette liste, Macron avait ajouté, dans une formule maladroite, les États-Unis – car Paris doute des intentions américaines en Europe. Ces propos, tenus à quelques jours des cérémonies du 11 Novembre – et à la veille de la première réunion, à Paris, des neuf pays signataires de l’initiative européenne d’intervention (IEI), poussée par Paris – ont déclenché l’ire de Donald Trump. » Très insultant mais peut-être que l’Europe devrait d’abord payer sa part à l’Otan que les États-Unis subventionnent largement! », a tweeté le président américain.
Trump, le président des Etats-Unis demande à l’Europe de payer sa participation à l’Otan.
Contre toute attente, Angela Merkel a aussitôt emboîté le pas du président français, en appelant, le 13 novembre, à Strasbourg, à « élaborer une vision nous permettant d’arriver un jour à une véritable armée européenne. »
Les Européens sous le coup de plusieurs électrochocs
Cette polémique survient au moment où une note d’étape vient d’être remis par Louis Gautier à Emmanuel Macron. En mai, l’ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – un organe qui dépend du Premier ministre – s’était vu confier une mission sur le sujet. Il devrait remettre son rapport définitif à la fin de l’année.
Ce magistrat à la Cour des comptes dresse d’abord le constat de la situation. « Les Européens sont sous le coup de plusieurs électrochocs qui ont eu lieu ces dernières années, souligne Louis Gautier : invasion de la Crimée par la Russie, en 2014, attentats djihadistes, en 2015, cyberattaques WannaCry et NotPetya, en 2017… Ce qui relevait, dans nos rapports, de l’analyse prévisionnelle est devenu un constat : l’Europe est fragile. La question de la sécurisation des frontières l’a démontré tout comme la nécessité de rehausser et surtout d’égaliser les niveaux de protection de nos infrastructures critiques [réseaux de communications, de transports, d’électricité… NDLR]. Nous sommes aussi soumis à des formes d’action ou de provocation -menées de façon discrètes dans les domaines cyber, spatial ou même sous-marin- qui ont pour but d’intimider l’Europe. Il est clair, aujourd’hui, qu’aucun des États membres ne peut faire face seul à ces défis et que personne ne le fera à leur place. D’autant que Donald Trump entretient le flou sur les intentions des États-Unis à l’égard de l’Europe. Nous devons au sein de l’Union assurer la solidarité et l’efficacité de nos réponses collectives. »
Il est clair, aujourd’hui, qu’aucun des États membres ne peut faire face seiul à ces défis et que personne ne le fera à leur place.
Louis Gautier
Dans ce moment critique, l’année 2017 constitue une période de relance de la défense européenne, estime l’expert. Elle en a déjà connu par le passé, notamment après la chute du communisme, dans les années 1990, et après la guerre du Kosovo, en 1999, mais, à chaque fois, ces tentatives s’étaient enrayées. Ces derniers mois, trois nouveaux mécanismes ont été lancés : la coopération structurée permanente – pour les programmes d’équipements -, l’initiative européenne d’intervention – qui vise à créer une culture stratégique commune – et un fonds européen de défense doté de 13 milliards d’euros sur sept ans, à partir de 2021. « Si l’on ajoute d’autres crédits, dédiés à la mobilité ou au spatial, par exemple, l’enveloppe atteint près de 30 milliards d’euros à l’horizon de 2027, c’est considérable », souligne Gautier.
Se préparer aux nouveaux conflits du XXIe siècle
Problème : les États membres devront trouver un consensus pour valoriser les projets clefs. « Il y a un risque de divergences, confirme Louis Gautier. Ce fonds ne doit pas susciter la concurrence au sein de l’Union, mais renforcer la compétitivité des Européens. » Selon lui, les 27 doivent, d’abord, définir un corps de doctrine afin d’orienter les projets et les investissements à venir de ce nouveau fonds. « Il faut donner, au plan militaire comme au plan industriel, un contenu raisonnable à la notion d’autonomie stratégique », précise-t-il.
Pour l’expert, trois axes devraient être soutenus afin de préparer les conflits du XXIe siècle : le cyber, le spatial et les espaces maritimes, notamment avec les nouveaux sous-marins. « Il faut une bonne articulation des financements européens pour que tout le monde puisse en bénéficier et qu’ils servent à consolider la base industrielle du Vieux Continent, pas à la détricoter », insiste Louis Gautier. Afin d’orienter les dépenses du fonds, il recommande, notamment, de créer une direction européenne de la défense et de l’espace. L’ensemble de ses préconisations ne seront remises qu’après le Conseil européen du 13 au 14 décembre.