Alors que le cycle 2023 de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains était consacré aux conditions de la paix mondiale, les conférences et les contributions qui en sont issues, publiées dans ce numéro de la RDN-, parlent principalement de la guerre. Comment pourrait-il en être autrement ? La guerre d’Ukraine obnubile tous les esprits. Malgré les avertissements que constituaient depuis la chute du mur de Berlin les conflits de Tchétchénie, de Transnistrie, des Balkans, d’Ossétie, de Crimée, la guerre, pour les Européens, ne semblait n’être plus qu’un lointain souvenir. Avec le conflit d’Ukraine, elle fait son grand retour sur notre continent. Par les risques qu’il comporte, par le nombre considérable des victimes et l’ampleur des destructions déjà causées, ce conflit focalise l’attention d’autant que son issue demeure très incertaine. Forcés de se replier à l’est du Dniepr, les Russes n’ont pas remporté la première manche. Entre bombardements et contre-offensives, les combats se poursuivent. En ce début d’année 2023, le brouillard de la guerre s’épaissit et les chances de la paix sont encore très volatiles.
« La paix n’est qu’un passé, la guerre n’a pas d’avenir », sous ce titre volontairement énigmatique, cette contribution invite à des réflexions générales sur la guerre et la paix et à d’autres plus ciblées tirant de premières leçons du conflit ukrainien entré dans sa deuxième année.
Antériorité de la guerre et construction de la paix
La guerre n’a pas de sens ; elle n’a qu’une signification
La guerre n’a jamais cessé d’exercer une fascination morbide pour celui qui l’approche de près ou de loin. Quiconque, hier comme aujourd’hui s’intéresse à la guerre, doit pour cette raison se méfier de se laisser, par elle, abuser. Nombreux sont les penseurs qui furent aveuglés par l’aura de mystère qui l’entoure, et malgré toutes les mises en garde, par le caractère inexpliqué de son irrépressible répétition dans l’histoire. Ils ont vu alors dans la guerre un au-delà plus grand que sa terrible réalité : la main de Dieu, le moteur de l’histoire, une épreuve de vérité. Le piège que tend régulièrement la guerre à ceux qui essayent de l’interpréter est de les pousser à commettre une double faute : celui de confondre les causes avec les motifs allégués et celui de rechercher, dans son effectuation, une vérité supérieure aux faits. Nombreux sont les penseurs contemporains qui continuent d’essentialiser la guerre sous l’angle de la catastrophe, du déterminisme ou encore de la transcendance. Plus nombreux encore sont ceux qui y voient un moment privilégié de clarification et de transformation de l’histoire des sociétés. Or, si clarification et transformation il y a, ce qui n’est pas systématiquement le cas de tous les conflits, ce résultat ne peut être établi qu’ex post et rarement dans le sens au départ envisagé par les belligérants. Ainsi, ceux qui voient dans la guerre d’Ukraine autre chose que ses enjeux directs risquent dangereusement de se tromper en voulant lui donner un sens. Depuis le début du XIXe siècle, l’Occident cherche désespérément à donner philosophiquement, idéologiquement, moralement, politiquement et militairement un sens en soi à la guerre, là où sa signification suffit. C’est en particulier la thèse que le philosophe Frédéric Gros développe dans Pourquoi la guerre ? (1) qui tend, par des considérations morales et philosophiques, à essentialiser la guerre. Dès lors que, comme lui, on cherche à analyser « la nature profonde, l’essence éternelle, les caractéristiques structurales de la guerre » (2), on se place dans la position d’un aruspice triturant des entrailles. On en appelle à toutes sortes de raisons qui échappent à la raison. Quelque part, on magnifie la guerre. Clausewitz avait vu juste, la guerre ne s’appréhende que dans des cas particuliers. Au cas d’espèce qui nous préoccupe tous aujourd’hui, plus on surcharge le conflit d’Ukraine d’enjeux géopolitiques et idéologiques qui le dépassent, moins on a de chance de dégager politiquement et militairement une solution acceptable et d’en hâter la fin. D’une manière générale, il faut se garder des surinterprétations philosophiques, religieuses, éthologiques, anthropologiques de la guerre. Elles induisent toujours trop de contradictions. Les réflexions sur la guerre doivent rester centrées sur les causes métahistoriques ou infrasociales des conflits et sur leurs résultats politiques. Le seul constat interprétatif général que l’on peut admettre est que la guerre est un phénomène récurrent dans l’histoire, ce qui est en soi une source d’interrogations multiples. Chaque guerre est un cas particulier, on ne peut bien étudier la guerre que dans des cas particuliers, tout en étant conscient que tous ces cas sont reliés entre eux par l’histoire qui les éclaire.
Au bout du compte, quelle est la signification politique d’une guerre ? Elle se déduit des succès et des échecs que l’action militaire est en mesure de produire au plan politique. Comme le prouvent les récents conflits d’Afghanistan et d’Irak, une victoire militaire initiale est une condition généralement nécessaire, mais pas toujours suffisante pour parvenir à ses fins politiques. Concernant la guerre d’Ukraine, les deux camps sont aujourd’hui confrontés au même dilemme : le décalage entre les objectifs militairement atteignables et les buts politiques possibles. Cet écart qui était problématique pour les Russes l’an dernier dans la phase de conquête de l’Ukraine, le devient aujourd’hui pour ce pays et ses alliés dans la phase de contention de la poussée russe et celle à suivre de reconquête territoriale. Les Russes ont dû, en effet, revoir leurs ambitions initiales. Les Ukrainiens ne peuvent pas avoir d’autres objectifs politiques que de recouvrer l’intégrité de leur territoire, ce qui est militairement une gageure.
Quels sont les enjeux directs du conflit ? L’Ukraine doit recouvrer le plus complètement possible sa souveraineté, l’Europe doit retrouver le plus durablement possible une stabilité. Il ne s’agit ni de se venger du passé, ni de faire rendre gorge à la Russie, ni de donner un avertissement à la Chine.
La paix n’est pas une situation donnée, c’est toujours une construction réfléchie
Dans le vaste champ des études sur la guerre, les études sur la paix occupent finalement une place réduite et font souvent office de parent pauvre. Les ouvrages sur la paix sont le plus souvent de la plume de philosophes, de juristes et de poètes. Là où les livres sur la paix occupent quelques rayonnages, ceux sur la guerre occupent une bibliothèque. De surcroît, nombre de réflexions historiques ou théoriques se contentent d’une présentation relativisée de la paix. Généralement, la paix n’est définie que négativement par rapport à la guerre : elle ne serait qu’un sous-produit de la guerre, un état entre deux conflits et le temps de compromis pas nécessairement vertueux. À cet égard, beaucoup de commentateurs fustigent le comportement des Européens qui n’auraient pas su réagir avec détermination aux provocations de Poutine entre 2007 et 2022. Ils auraient fait preuve d’une complaisance coupable visant à prolonger la paix contre l’évidence de l’épreuve de force déjà engagée.
Les considérations sur la paix quand elles ne sont pas de simples postulats ou de pures pétitions de principe se heurtent ainsi dans le double champ des représentations et de la réalité au caractère « absorbant » de la guerre qui s’impose à celui hésitant et fragile de la paix. Dans son essai La guerre et la paix (1861), le philosophe Pierre-Joseph Proudhon, comme d’autres, se laisse ainsi subjuguer par le premier de ses sujets d’études. Il ambitionnait d’écrire un traité philosophique sur la paix, il se livre, en définitive, à un vibrant plaidoyer en faveur du droit de la force. Parmi les nombreuses assertions discutables que comporte cet ouvrage, il y en est une, lapidaire, qui prête cependant opportunément à discussion : « La paix est à la guerre, ce que la philosophie est au mythe ». Autrement dit, de même que dans l’histoire des idées on constate une antériorité des mythes sur la philosophie ; de même dans les réflexions historiques et politiques, la guerre se situe toujours comme un avant de la paix. Le mythe précède la philosophie, la guerre est un antécédent de la paix. Cette double antériorité du mythe et de la guerre dit quelque chose de la construction des sociétés et de la conceptualisation de cette construction, comme en attestent la plupart des grandes épopées fondatrices des sociétés archaïques qui mêlent d’ailleurs la guerre à la légende des origines. Depuis l’époque moderne, la philosophie politique occidentale, de Thomas Hobbes à Hannah Arendt, définit généralement la guerre comme état préalable, primitif, primordial ou primal de la société politique. Préalable pour Hobbes, primal pour Arendt, qui, sensible à ses effets mortifères, dénonce le biais interprétatif consistant à faire de la guerre la pièce d’institution de la société politique. Elle préfère donc considérer la guerre non plus sous l’angle de l’accouchement d’une réalité politique mais sous celui d’un traumatisme régressif dont il faut se relever.
La guerre, violence à la fois collective et ordonnée, peut ainsi être étudiée à la fois comme une notion marquée par le postulat de son antériorité dans les schémas d’interprétation de la société politique, comme un moment de cristallisation de l’histoire des sociétés et comme un phénomène récurrent dans l’histoire. La paix dès lors qu’on ne se contente pas de la définir comme une situation à un moment donné est plus difficile à appréhender. Si on poursuit la réflexion à partir de la citation de Proudhon, la paix est une philosophie, à la fois un idéal et une construction pensée. Les chantres de la paix sont d’ailleurs le plus souvent des juristes, des philosophes et des poètes. Ce n’est donc pas par hasard qu’un vieux philosophe, Jurgen Habermas, soit parmi les premiers à prononcer un « Plaidoyer pour des négociations après un an de guerre en Ukraine (3) ». La paix, si on ne la définit pas seulement négativement comme un entre-deux-guerres né de l’accomplissement d’un rapport de force et conditionné ensuite par la seule évolution de ce rapport de force, correspond toujours à un projet philosophique, politique et juridique. La Paix est une idéation – parfois une idéalisation – des relations entre adversaires d’hier. Tout au long de l’histoire, la paix cherche à codifier et à modéliser ce rapport. Il faut bien parler de modèle dont on peut utilement s’inspirer d’une époque à l’autre, mais il n’y a pas, comme pour la guerre, une continuité historique manifeste entre ses occurrences paradigmatiques. La paix est une construction et une projection vers un état futur d’achèvement de cette construction. Aujourd’hui, la guerre d’Ukraine met d’ailleurs plus nettement en évidence ce qui fait défaut à la communauté internationale : une idée commune de la paix mondiale. Non seule- ment il n’y a pas de solution évidente de sortie, mais le conflit ukrainien souligne l’impossibilité d’une paix mondiale durable sans un nouveau plan d’architecture pour la consolider.
Entre guerre et paix, ou l’état de « ni guerre ni paix » du monde actuel
Ces réflexions générales aboutissent à formuler trois constats liminaires applicables au conflit d’Ukraine et plus généralement à l’évolution des rapports entre la guerre et la paix du fait de leurs manifestations ou de leurs expressions contemporaines.
Les notions de guerre et de paix ne se situant ni sur le même plan, ni dans la même perspective, dire que « la paix aujourd’hui n’est qu’un passé et que la guerre n’a pas d’avenir » n’est pas une totale aporie. Demain, la paix en Europe ne peut s’envisager que sur des bases très différentes de celles dégagées au lendemain de la guerre froide, à la suite de la chute du mur de Berlin et de la disparition de l’URSS. Il faut y penser dès aujourd’hui, même si les conditions de négociations de la paix ne sont pas réunies. Il ne peut y avoir d’accord de paix négociée que sur des garanties de sécurité nouvelles accordées à l’Ukraine et un accord de stabilité en Europe. Un cessez-le-feu négocié serait un préalable, ce qui supposerait un gel des acquis territoriaux. Ni l’une ni l’autre ne sont donc envisageables aujourd’hui. En clair, on ne reviendra pas en arrière. La fin du conflit ukrainien ne réglera pas spontanément les problèmes durables qu’il aura causés à l’Ukraine d’abord, à l’Europe ensuite, au monde enfin.
Mon deuxième constat est lié aux évolutions contemporaines des confrontations armées. Ce début de XXIe siècle est marqué par une situation de « ni guerre ni paix ». Les conflits ouverts se sont multipliés au cours des dernières années, tout comme l’essor des comportements hostiles dans le domaine cyber et spatial. On remarque une nette détérioration des conditions de la paix mondiale que la guerre d’Ukraine a accélérée, mais la paix mondiale même très endommagée survit tant bien que mal. Un équilibre précaire a pu être jusqu’ici préservé. En dépit de leur intensification relative depuis la décennie 2000, les conflits armés n’ont pas entraîné une globalisation des épreuves de force à l’échelon mondial ou régional.
À l’instar des documents d’analyse stratégique américain ou britannique, la Revue nationale stratégique (4) française de 2022 décrit d’ailleurs l’avenir du monde comme un état de conflictualité permanent et gradué, mais somme toute encore maîtrisable, selon la formule de l’État-major des armées (EMA) : « compétition, contestation, affrontement » semblent désormais surdéterminer les relations internationales. Cet état de conflictualité permanente est caractérisé par l’hybridité des actions de guerre ouverte et couverte ainsi que par la montée des risques de conflits de plus haute intensité. Cette vision occidentale des choses, par ailleurs axée sur une ligne de confrontation contre Pékin et Moscou, présente cependant un caractère très réducteur. Elle ignore délibérément les logiques coopératives et d’intérêts mutuels qui pourraient être développées en faveur de la paix mondiale. Elle comporte de ce fait le risque d’être autoréalisatrice.
En guise de troisième constat, « la paix n’est qu’un passé, la guerre n’a pas d’avenir » est une manière de définir ce moment d’entre-deux qui caractérise la guerre d’Ukraine, sans que les opérations militaires ne parviennent, pour l’heure, à dégager une issue à ce conflit. Les combats se poursuivent sans paix ni victoire en vue à brèves échéances. En clair, une deuxième manche est engagée au printemps 2023 dans des combats linéaires qui, faute d’aboutir, risquent de déboucher sur un mauvais cessez-le-feu ou de faire déborder le conflit. Finalement, entre Charybde et Scylla, la guerre d’Ukraine soit s’épuise dans un conflit progressivement gelé, soit s’emballe (5) dans de dramatiques extensions qui modifieraient alors substantiellement la nature de cette guerre et celui de la paix mondiale.
La paix mondiale repose sur des paradigmes dépassés, son avenir reste à écrire
La fin d’un modèle
Certes, la guerre d’Ukraine périme la paix en Europe, mais sauf escalade dramatique elle ne va pas remodeler le monde. En revanche, elle signale et précipite la décadence du système de sécurité collective institué en 1945, réactivé à par- tir de 1991 et de plus en plus dysfonctionnel. À cet égard, le vote à l’Assemblée générale des Nations unies du 23 février 2023 est symptomatique du blocage du Conseil de sécurité. En effet, si celui-ci fonctionnait normalement, on ne devrait pas s’en remettre au vote sans conséquence de l’Assemblée générale. On ne procédait pas autrement durant la guerre froide quand le Conseil de sécurité était bloqué. Après la guerre d’Ukraine, il n’y aura pas de bouton reset sur lequel appuyer pour restaurer l’autorité et le fonctionnement du Conseil de sécurité. Non réformé dans la période de paix mondiale relative post-guerre froide (1990-2010), le système des Nations unies a encore moins de chance de pouvoir l’être dans le contexte actuel de tensions internationales et de fortes rivalités entre grandes puissances.
Après la guerre froide le progrès du droit international et des mécanismes de régulation collective d’une part, les vertus du libre-échange et de la prospérité économique d’autre part, étaient largement perçus comme des gages de la paix. L’extension indéfinie de la libre circulation des biens, des services, de l’information était censée « égaliser » les bénéfices de la paix mondiale. Ce modèle a été mis à mal par les crises sécuritaires, financières, environnementales et sanitaires qui se sont succédé depuis vingt ans. Mettant au défi la capacité de régulation de la communauté internationale pour en amortir l’impact, elles ont renforcé partout le rôle des États pour protéger leurs intérêts souverains, leur population, voire leur système social. Le modèle d’une construction spontanée de la paix par le « doux commerce », cher à Montesquieu, ne correspond en outre plus ni aux enjeux globaux de l’environnement, ni aux stratégies nationales de sécurisation des approvisionnements stratégiques ou sensibles, ni aux politiques restrictives et anticoncurrentielles de certaines grandes puissances, en premier lieu, celles de la Chine et des États- Unis. L’ordre néolibéral post-guerre froide est discrédité, entraînant dans sa chute les outils de régulation du commerce mondial tel que l’OMC. La crise de l’énergie et la crise alimentaire qui découlent de la guerre d’Ukraine renforcent partout les mécanismes protectionnistes. La paix future n’est donc pas suspendue à la résolution du conflit d’Ukraine mais aux règles du jeu de la compétition économique future notamment à la définition de nouvelles normes équitables et durables. L’invasion de l’Ukraine clôt le chapitre ouvert en 1991 par la fin de la guerre froide : celui d’un chapitre optimiste qui faisait reposer la paix sur les progrès du droit international, sur le rôle pacificateur du commerce et des échanges ainsi que sur la formation d’une opinion mondiale influençant positivement (notamment en faveur des droits de l’homme et des droits humanitaires) le gouvernement des Nations. La dissipation du rêve d’une « mondialisation heureuse » s’accompagne aussi d’une déstructuration de l’ordre international nucléaire.
Un troisième âge nucléaire incertain
Le rôle stabilisateur de la paix mondiale joué par la dissuasion nucléaire depuis la guerre de Corée (1951-1953) demeure, mais son efficacité est moindre. Nous sommes entrés dans un troisième âge nucléaire : un monde polynucléaire avec a minima dix États possédant la bombe ce qui induit un accroissement du niveau des menaces intentionnelles et des risques d’accidents. Après que le président Trump a dénoncé l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, la guerre d’Ukraine a contribué à relâcher l’attention sur l’Iran qui en a profité pour intensifier ses efforts en vue de la fabrication d’une tête nucléaire. Au-delà du cas iranien, les risques de prolifération verticale ou horizontale sont pluriels. Les doctrines de dissuasions sont en outre de moins en moins homogènes. Par ailleurs, on assiste à une diversification et une densification des arsenaux des puissances nucléaires déjà dotées, ou, tout du moins, à leur modernisation. La modification de l’équation nucléaire change profondément la donne en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. Ainsi, le démantèlement par Washington autant que par Moscou des accords de désarmement nucléaire (ABM, INF, START et New START) fut autant de coups portés à la stabilisation par la dissuasion et le désarmement nucléaire à la paix mondiale. Comment dans le contexte actuel reprendre le chemin du désarmement ? Les Européens en premier feraient bien de se préoccuper des conséquences assez directes pour eux d’un ordre nucléaire incertain.
Une architecture européenne de sécurité en pièces
Autre constat que met aujourd’hui bien en lumière la guerre d’Ukraine, mais qui pouvait en réalité être déjà tiré dès 2008 lorsque la Russie a agressé la Géorgie – un avertissement insuffisamment pris au sérieux par les Européens : l’Union européenne, conçue comme une puissance civile et économique stabilisa- trice, a été prise en défaut. Ce conflit devrait convaincre les Européens de l’obligation impérative de ne pas retomber dans leur erreur passée, en devenant collectivement une puissance militaire, en étant en mesure de contribuer eux-mêmes à leur défense collective et en s’affirmant enfin comme un acteur stratégique à part entière en tant qu’Union et dans l’Otan. Il est trop tôt pour affirmer qu’ils en pren- dront vraiment le chemin, néanmoins la dimension militaire est devenue une réa- lité dans la construction de l’UE par le financement de la reconstitution des stocks d’armes livrées aux Ukrainiens.
Cette guerre a aussi puissamment contribué à la revitalisation de l’Otan et au raffermissement de la garantie américaine dans cette organisation. On peut cependant craindre que ces évolutions n’entrent en compétition de façon contre- productive avec l’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Europe. L’Otan est une organisation de sécurité collective efficace mais seulement pour ses membres et dédiée à la sécurité collective. Elle est par ailleurs mono-mission. En s’élargissant, elle établit aussi une ligne de démarcation en Europe entre les États qui en font partie et les autres. De plus, fréquemment associée aux intérêts des États-Unis, elle est souvent récusée comme tiers dans la gestion des crises, notamment en Afrique ou en Méditerranée. Les États européens ont donc besoin de moyens nouveaux à la fois pour conforter leur contribution à leur propre sécurité collective et pour mener au besoin des actions militaires extérieures, de maintien ou de rétablissement de la paix. Cette ambition passe aussi par la confortation d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD) sur des segments de souveraineté.
Le conflit ukrainien agit ainsi comme le révélateur d’une nouvelle donne internationale particulièrement volatile faute de leadership ou d’équilibres structu- rants. La Russie n’était pas, et ne sera pas, à la suite du conflit, en mesure d’être un des pôles d’équilibre du monde futur. Les Européens, s’ils ne modifient pas leur positionnement, ne le seront pas non plus. En fragilisant le Vieux Continent, cette guerre va réduire globalement l’influence des Européens sur la scène internationale et dans les recompositions à venir. Les débouchés de ce conflit se dégagent en Europe mais se finaliseront en Asie. C’est en Asie que doit être sauvée la paix mon- diale ! La guerre d’Ukraine sauf si elle escaladait dangereusement n’est d’ailleurs en elle-même porteuse d’aucune réalité géostratégique nouvelle. Une vision pour l’avenir de la paix dans le monde s’avère nécessaire. Les Européens n’en ont pas vraiment. C’est en revanche ce qu’ont bien compris les Chinois qui, avec intelli- gence et une bonne dose de duplicité dans leur plan de paix pour l’Ukraine, cher- chent à s’adresser au monde dans un langage compréhensible par tous et en prenant en considération les intérêts de tous (respect de la souveraineté, exporta- tion de céréales, sécurité nucléaire…). Les Européens, ont bénéficié d’une longue paix relative qui, depuis 1945, aura duré plus de soixante-quinze ans. Fait inédit dans leur histoire, cette paix appartient désormais au passé. Il reste à définir quel sera l’avenir de la paix à l’horizon du mitan du XXIe siècle.
Le conflit ukrainien, une guerre bloquée dans le passé
La guerre d’Ukraine, par maints aspects, est un conflit singulier mais il s’inscrit dans une double généalogie de conflits, ceux d’avant la guerre froide et ceux postérieurs à la guerre du Golfe de 1991 qui en anticipe la fin.
Une guerre datée
Elle charrie bien des relents du passé et nous ramène aux trois conflits mondiaux « en chaîne (6) » 1914-1918, 1939-1945 et guerre froide. L’histoire contemporaine de la Russie est intimement liée à ces évènements. Les Européens avaient tort de se croire débarrassés de ces fantômes de l’histoire (7). Ils ont commis aussi après la chute du mur de Berlin une autre erreur, celle de penser que l’extension de la démocratie sur leur continent était inéluctable. La démocratie reste dans l’histoire de l’humanité et celle de notre monde contemporain un régime minoritaire, fragile, régulièrement combattu par les États autoritaires. Après les entreprises de déstabilisation des démocraties européennes orchestrées de façon souterraine par Moscou depuis une dizaine d’années (coups de forces contre la Géorgie et l’Ukraine, annexion de la Crimée et reprises en main musclées en Biélorussie et au Kazakhstan), l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 est un rappel brutal de cette vérité. Soudain, l’hypothèse d’un conflit majeur a ressurgi. Cette guerre montre que les confrontations armées entre États existent toujours, alors que toute la littérature des trente dernières années entendait prouver le contraire en faisant des guerres intra-étatiques la norme absolue des conflits contemporains.
En dépit de la pertinence de ces rappels historiques, je souhaite insister sur un point : même si le motif est allégué, on ne fait jamais la guerre pour se venger de l’histoire. C’est toujours un prétexte. Seconde remarque, même si la guerre d’Ukraine s’inscrit tant dans une double généalogie des conflits, elle apparaît ana- chronique par ses motifs (guerre de conquête) et par ses aspects opérationnels. Elle semble être une réminiscence d’un autre âge : une guerre impérialiste et expansionniste. Cette guerre est datée, tant par les motifs politiques invoqués par Poutine que par les moyens militaires tout droit sortis des arsenaux de la guerre froide. C’est une guerre bâtarde et régressive. Elle n’est pas emblématique d’une ère géostratégique nouvelle dans laquelle elle ne fait que s’inscrire. Elle n’est pas non plus le parangon des conflits à venir. C’est en cela qu’elle n’a pas d’avenir ou plutôt qu’elle ne maîtrise pas son avenir.
Contrairement à la guerre du Golfe, qui avait été un conflit inaugural de la fin de la guerre froide et la « mère des batailles » servant de banc d’essai au savoir- faire et à la technologie militaire des États-Unis, la guerre d’Ukraine sauf quelques particularismes n’apporte rien de très nouveau dans l’art opératif militaire. La guerre d’Ukraine a en effet à voir à la fois avec la Grande Guerre, avec le second conflit mondial et avec une guerre contemporaine. En effet, le combat d’attrition et les tranchées de Bakhmout rappellent ceux de Verdun ; les images de Marioupol détruite rappellent les images du Havre, de Dresde ou de Varsovie ; enfin, l’emploi des drones, de l’électronique et des outils de communications ancrent cette guerre dans le présent. Le conflit ukrainien risque de s’achever avec deux perdants : la Russie qui aura très largement manqué son pari de revanche, de rétablissement et de conquête de l’Ukraine, et ce pays à moitié détruit et probablement amputé d’une partie de ses territoires non reconquis. Alors que la guerre du Golfe en 1991 avait érigé Washington à la tête de l’ordre mondial et contribué à définir les règles de la sécurité internationale des trois décennies suivantes, la guerre d’Ukraine sans vainqueurs ni vaincus ne sème que troubles et incertitudes dans les relations inter- nationales. D’où la nécessité d’une fin de partie au net désavantage de Poutine.
Une guerre conventionnelle bâtarde
À bien des égards, le conflit ukrainien est une « guerre bâtarde » car le conflit conventionnel, bien que circonscrit à l’Ukraine, se déroule sous ambiance nucléaire. Il l’est aussi du fait de la mixité des options tactiques fortement contraintes par la disponibilité des équipements du côté de la Russie –à la fois de vieux tanks mais aussi de missiles de croisière au dernier standard – et par la limite de la réserve en hommes du côté ukrainien.
Comment caractériser ce conflit ? D’une part, comme un conflit inter- étatique majeur et inédit en Europe depuis 1945. D’autre part, on peut le définir négativement : ce n’est ni une révolution dans les affaires militaires, ni un modèle dans la conduite des guerres futures, ni une surprise stratégique dans la mesure où il est la poursuite d’une stratégie hybride d’intimidation et de déstabilisation déjà à l’œuvre depuis plus de dix ans. Néanmoins, il remet en question le modèle contemporain de la guerre à l’occidentale fondé sur l’atout technologique et la réduction de la létalité dans les conflits : frappe chirurgicale, politique du « zéro mort », limitation des dégâts collatéraux. Ce modèle est radicalement pris à contrepied par des actions militaires russes qui assument la « brutalisation » dans l’application de la force (bombardements, prise en otage de la population, massacre de civils). De même, la guerre d’Ukraine par l’héroïque mobilisation de sa population, montre toute l’importance du ressort moral d’une nation face à l’adversité.
La mise en alerte des forces nucléaires russes est la caractéristique qui singularise le plus fortement le conflit d’Ukraine, ce qui le situe à part dans la généalogie des conflits depuis la guerre de Corée (1950-1953) où l’usage d’armes atomiques dans un conflit fut pour la dernière fois envisagé. Vladimir Poutine, depuis janvier 2022, fait un usage gesticulatoire de la dissuasion afin de susciter la crainte au sein du camp occidental. Il a pu d’emblée en agissant de la sorte sanctuariser l’espace de la confrontation et en borner les seuils. Les Européens auraient tort de ne pas prêter attention aux déclarations du président russe : elles constituent des mises en garde et visent à appeler l’attention des Occidentaux sur les atouts de supériorité acquis par la Russie dans le développement de missiles de dernière génération. Ces avancées technologiques ne sont pas négligeables dans les domaines de l’hypervélocité et de la précision. L’insistance russe à montrer ainsi ses muscles devrait en tout cas inciter les pays européens, pour la plupart, inattentifs ou indifférents aux questions nucléaires, à les traiter avec une plus grande considération et sous le double aspect de la dissuasion et du désarmement régional. La problématique nucléaire ne concerne pas seulement l’équilibrage des relations stratégiques entre la Chine et les États-Unis ou les rapports entre le Pakistan et l’Inde, ou encore les risques de prolifération de l’Iran ou de la Corée du Nord. Malheureusement, l’Europe, comme le reste du monde, est entrée dans un troisième âge de la dissuasion nucléaire (voir supra). Les Européens ne peuvent que regretter, rétrospectivement, d’avoir, sans réaction, laissé détricoter par Moscou et Washington tous les traités de désarmement post-guerre froide depuis vingt ans dont, en 2019, le Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI).
Un conflit verrouillé
Depuis un an, le conflit ukrainien est donc « verrouillé » stratégiquement par la menace nucléaire. Il est également « endigué » pour éviter toute expansion territoriale. Américains et Européens, tout en livrant des armes à l’Ukraine, campent sur un statut de « non belligérants » sur lequel Moscou polémique sans le remettre en cause frontalement. L’Otan s’est refusé dès le départ à intervenir dans l’espace aérien ukrainien et à établir une No Fly Zone. La Russie a perdu la première manche de la guerre en 2022. Après avoir fait le deuil de leurs ambitions de conquête initiale, les Russes ont dû faire face ensuite à de nombreux revers tac- tiques : retrait de la ville de Kherson, retrait des abords de Mykolaïv, dernier verrou avant le port d’Odessa, recul derrière la rive orientale du Dniepr au sud. Ils se sont retranchés depuis l’automne derrière une ligne de défense fortifiée, tout en pour- suivant des bombardements sporadiques plus ou moins intenses contre des voies de communication, des sites stratégiques, des zones résidentielles.
Plusieurs causes président à la mise en échec des projets russes par l’admirable résistance ukrainienne. L’armée ukrainienne s’est préparée à soutenir un tel choc grâce à des coopérations militaires mises en place avec les États-Unis et le Royaume- Uni entre 2016 et 2022. La mobilisation de sa population, l’agilité tactique de ses forces et un important soutien des alliés occidentaux (8) ont permis à l’Ukraine de tenir. D’un autre côté, les Russes ont pâti de leur mauvaise organisation, de la modernisation incomplète de leur armée et de leur incapacité à se rendre maîtres du milieu aérien.
À Avdiivka, Bakhmout ou Voulhedar, bombardées sans relâche, les Russes désormais tentent de fixer une ligne de front. Sur la carte, le chapelet de ces villes en ruines dessine aussi une frontière, celle des ambitions territoriales de la Russie revues à la baisse. Les opérations militaires ont repris. Il s’agit d’une nouvelle phase du conflit, pas encore d’un tournant. À l’horizon du prochain mois, le plus probable est la poursuite linéaire de la guerre d’Ukraine dans des combats d’attrition meurtriers. Moscou concentre depuis l’automne ses efforts sur le Donbass et la partie sud de l’Ukraine. Son but, à l’évidence, est de rendre irréversible l’annexion politique des oblasts de Kherson, Zaporijjia, Donetsk et de Louhansk en unifiant ses zones de conquête à partir de la Crimée et à l’est du Dniepr.
Américains et Européens campent sur un statut de « non belligérants. » Sauf la Pologne et la Slovaquie qui fournissent des MiG-29, les alliés ne livrent à Kiev ni avions de combat, ni missiles à long rayon d’action ou drones performants. Les frappes aléatoires comme celle de Przewodow en Pologne, celle contre la base d’Engels en Russie ou la collision intentionnelle d’un Sukhoi et d’un Reaper au-dessus de la mer Noire, font d’ailleurs l’objet de mises au point entre Russes et Américains afin d’en « déconflicter » les risques d’escalades.
Il est plus que jamais nécessaire pour les alliés de rester mobilisés sur la fourniture d’armes à l’Ukraine, sur des objectifs militaires réalistes et le dégagement progressif d’une sortie du conflit permettant le rétablissement le plus complet possible de l’Ukraine dans ses droits souverains. Pour les deux camps, les mois à venir sont cruciaux s’agissant de l’efficacité militaire et des seuils à franchir pour l’obtenir. Va-t-on dès lors pouvoir rester encore longtemps dans un conflit linéaire aussi réglé que le fut la première manche ? Un moment de vérité se profile. Le devoir des responsables et des états-majors est de préparer de nouvelles réponses empêchant les Russes d’imposer un règlement du conflit à leurs conditions. Les principales options sont déjà sur la table : la livraison d’avions de combat F-16 pour sécuriser l’espace aérien ukrainien ; celle de missiles à plus long rayon d’action permettant de désorganiser, en frappant l’arrière, les chaînes d’approvisionnements russes ; la participation en plus grand nombre de « conseillers et coopérants » militaires non combattants aux missions de préparation et d’appui logistique de l’armée ukrainienne. Le risque au milieu de cette gamme d’options est de basculer dans le statut de belligérant avec toutes les conséquences que cela implique. La voie est donc étroite. Les alliés peuvent cependant poursuivre encore un peu plus loin dans la voie incrémentale de densification de leur soutien militaire aux forces ukrainiennes, là où les Russes mis en difficulté, n’auraient d’autres choix que ceux aboutissant à une plus grande internationalisation du conflit : l’ouverture fomentée d’un front de diversion forçant les États-Unis à un réengagement hors d’Europe, une extension du conflit à la proximité du théâtre d’opérations, par exemple en Moldavie, une escalade dans l’emploi de moyens non conventionnels, tel un sabotage cyber massif contre les installations de pays européens ou, en violation d’un interdit maintenu depuis 1945, une frappe nucléaire tactique limitée voire, avec divers effets de bord, une explosion extra-atmosphérique créant un choc électro- magnétique au-dessus de l’Ukraine. Ces scénarios restent soumis à bien des objections, en tout cas aujourd’hui. La Russie ne peut sans inconvénient, par des actions inconsidérées, être sourde aux appels à la prudence de l’Inde ou de la Chine, s’isoler davantage sur la scène internationale et encore moins se placer au ban des Nations.
Quelle fin de partie ?
La partie est, pour tous, serrée. Avant d’atteindre un nouveau palier, il y a encore des marges d’action militaire possibles pour soutenir les Ukrainiens. Sinon dans peu de mois la question se reposera très vite et avec plus d’insistance encore : rupture ou continuité ? C’est-à-dire dans un cas l’extension et le changement de nature de la guerre et dans l’autre la résignation à la voir s’épuiser dans un conflit gelé.
L’ancienne Haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (2009-2014), la Britannique Catherine Ashton, dans un ouvrage sorti en janvier 2023 And Then What? (9), pose intelligemment la question du « coup d’après » en diplomatie comme pour les opérations militaires. Les Européens doivent l’anticiper, sinon ils ne sauront pas y répondre et les chances de succès seront minces. Nous devons a minima nous préparer à répondre si les choses s’enlisent. Il est totalement inopportun d’évoquer un point de sortie militaire du côté des alliés de l’Ukraine sauf à alimenter des spéculations démoralisatrices et défaitistes. Ce n’est pas donner des chances à la paix que de douter au moment de la reprise du combat. Malgré tout, il arrivera un moment où il faudra se demander sur quelles bases des négociations sont envisageables : un cessez-le-feu ? Une ligne de démarcation ? La fin des frappes dans la profondeur du territoire ukrainien et l’établissement d’une No fly zone sur l’Ukraine pour la faire respecter ? La démilitarisation du Donbass ? Et vis-à-vis de la Russie, en fonction de la configuration, nous devrons maintenir les sanctions, combattre partout son influence, contenir militairement la présence russe en méditerranée et en Afrique et lutter contre toute forme d’ingérence en Europe. Dans tous les cas, une garantie de sécurité européenne du type de celles contenues dans l’article 42.7 du Traité de Lisbonne devra être accordée à l’Ukraine.
Le conflit d’Ukraine appartient au passé. Sauf dans l’emploi de certaines technologies nouvelles adaptées par les Ukrainiens notamment en termes d’information, de conduite ou de ciblage tactique de la manœuvre, ce conflit ne porte pas en lui le futur de la guerre technologique défini par la compétition dans le haut du spectre entre les États-Unis et la Chine. La guerre d’Ukraine a compromis la paix en Europe centrale et choqué la paix mondiale. La fin du conflit ne réglera pas les effets négatifs qu’il aura provoqués pour l’Ukraine, l’Europe et le monde ; le XXIe siècle est en attente d’une charte nouvelle pour consolider la paix mondiale. Européens et Américains feraient bien de s’atteler à son écriture. Il ne faut pas croire enfin que les Occidentaux parviendront à remobiliser le « reste du monde » sur leurs lignes de confrontation, aujourd’hui contre la Russie et demain contre la Chine. La plupart des autres pays attendent d’eux un discours moins autocentré, plus global et positif.