Louis Gautier: «La paix ne se construit pas sur le succès des armes»

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Un mitrailleur de l’ALAT avec le badge de l’opération Barkhane (Source : CC BY-SA 3.0)

Les interventions occidentales depuis la fin de la Guerre Froide ont-elles échoué ?

Non, pas toutes. Certaines ont été des succès, quand elles ont réussi à épuiser les sources du conflit et permis de dégager une issue politique à la crise. Dans les conflits contemporains, à de rares exceptions près, la paix ne se construit pas sur le succès des armes. L’implication de puissances tierces peut faciliter voire seule permettre un retour à la paix mais elle contribue aussi à faire évoluer l’horizon du conflit. Ainsi, les guerres des Balkans s’achèvent à la fois par le démantèlement de la Yougoslavie (jusqu’à l’indépendance du Kosovo non souhaitée par la France) et sur la perspective d’une intégration européenne. On a beaucoup critiqué les opérations humanitaires ou en faveur de la paix. Plusieurs sont des réussites : au Timor, en Sierra Leone, au Libéria… En Haïti ou en RCA, elles ont calmé le jeu. La guerre du Golfe a rétabli la souveraineté du Koweit. En Côte d’Ivoire, malgré des péripéties, l’intervention française a stabilisé le pays. Les combats contre Daech sur le théâtre Syro-irakien aboutissent à l’écrasement militaire de l’EI. En revanche, en Somalie, en Afghanistan, en Irak le bilan est celui d’un échec.

Pourquoi ?

Par retenue stratégique mais aussi opérationnelle depuis 1991, les Occidentaux ne mènent pas des guerres dans lesquelles la victoire militaire peut être recherchée à tout prix. En outre, elle n’est généralement qu’une étape d’un processus. La chute de Bagdad en 2003 est juste un point de départ. L’échec des opérations extérieures découle toujours d’erreur d’appréciation sur les finalités politiques de l’action militaire. On n’impose pas les droits de l’homme ni la scolarisation des jeunes filles au son du canon. Si l’intervention ne parvient pas à créer les conditions d’un compromis possible entre belligérants et s’éternise, l’échec est assuré. Elément d’une solution, on se retrouve partie du problème. Comme en Irak et en Afghanistan, le retrait des forces étrangères devient alors la clef du règlement négocié.

On n’impose pas les droits de l’homme ni la scolarisation des jeunes filles au son du canon.

Louis Gautier

Les Occidentaux ont-ils commis d’autres erreurs ?

Jusqu’aux années 2010, ils avaient la supériorité absolue. La maîtrise de l’espace aérien leur permettait un usage de la force peu risqué. Ils agissaient pour des causes morales et politiques qui leur semblaient justes. Le piège s’est ensuite refermé, ils sont devenus les otages de leurs opérations. Les conflits humanitaires ont frayé la voie de conflits sécuritaires, notamment contre le terrorisme, puis le retour du jeu des puissances. Les Occidentaux ont joué les apprentis sorciers : en banalisant le recours à la force, ils l’ont aussi banalisé pour les autres. La Russie nous a accusés d’avoir créé un précédent avec l’intervention au Kosovo. Elle s’en est prévalu pour légitimer ses agressions en Géorgie et en Ukraine. Elle s’est enhardie plus loin en Syrie, en exploitant habilement les failles de l’engagement occidental.

Décollage d’un Soukhoï Su-24 russe à Lattaquié, le 3 octobre 2015, pour la Syrie

Qu’aurait-il fallu faire par exemple en Afghanistan ?

La guerre contre Al-Qaïda à Kaboul et à Tora Bora était pleinement justifiée. Il fallait assécher Al-Qaïda. Mais ce fut une erreur d’essayer de pacifier le pays selon nos vues et nos valeurs.

L’intervention en Libye, initiée par la France, est-elle le contre-modèle ?

Elle débute par un succès diplomatique français avec le vote de la résolution 1973 autorisant le recours à la force pour protéger les populations civiles. En revenant à la légalité internationale, le Conseil de sécurité lavait en quelque sorte le « péché » de 2003 sur l’Irak. L’objectif humanitaire était réaffirmé. Tout commençait bien. En s’écartant du mandat initial pour abattre le régime de Kadhafi, l’opération a précipité un chaos favorable aux djihadistes et offert ainsi un prétexte d’intervention à d’autres puissances, Arabie Saoudite, Egypte, Qatar, Russie, Turquie, qui ne servent que leurs intérêts. L’action en Libye devait être un rattrapage. In fine, elle résume toutes les dérives de l’interventionnisme occidental depuis la fin de la guerre froide.

Ces puissances émergentes réussissent-elles mieux leurs interventions ?

Il n’est pas sûr qu’elles engrangent à la longue tous les bénéfices escomptés. Mais, contrairement à nous, sur le court terme, elles ont plus à gagner qu’à perdre. La Russie par ses actions militaires entendait restaurer son statut de puissance mondiale, elle y est parvenue. La Turquie cherchait à établir en dehors de l’OTAN ses positions en Méditerranée, au Levant et en Asie centrale, c’est chose faite. Pour les Occidentaux, le temps où ils jouaient les gendarmes du monde est révolu. Leur suprématie s’est relativisée. Leur liberté d’action est désormais contrainte par des stratégies adverses de déni d’accès. Plusieurs puissances régionales affichent désormais un comportement militaire « décomplexé ». Après la Crimée, le conflit du Haut Karabakh montre qu’avec un but de guerre précis et une action bien préparée, le pari de la force peut être gagnant. Des actions de ce type vont sans doute se reproduire. Qu’y pourront les Occidentaux ?

La Russie par ses actions militaires entendait restaurer son statut de puissance mondiale, elle y est parvenue. La Turquie cherchait à établir en dehors de l’OTAN ses positions en Méditerranée, au Levant et en Asie centrale, c’est chose faite. Pour les Occidentaux, le temps où ils jouaient les gendarmes du monde est révolu.

Louis Gautier

Quelles sont les conséquences pour les Européens ?

Les déboires rencontrés dans les opérations extérieures ont induit, chez la plupart des pays européens une « déprime opérationnelle ». Les Allemands ont été traumatisés par l’Afghanistan ; Espagnols, Italiens, Britanniques ont quitté la coalition en Irak avec des bleus à l’âme. Les leçons de la Libye sont amères, y compris pour la France. Ces échecs minent le renforcement des capacités d’action de l’UE. Or, la défense européenne, a été conçue à l’origine pour des situations d’urgence humanitaire ou de stabilisation auxquelles l’OTAN ne répond pas. Que faire, si plus une armée ne veut mettre un pied dehors ?

Les déboires rencontrés dans les opérations extérieures ont induit, chez la plupart des pays européens une « déprime opérationnelle ».

Louis Gautier

Quel sera le destin de l’opération française au Mali ?

La France n’a pas vocation à fournir une armée mercenaire, au demeurant gratuite, à des pays Africains défaillants où à des Européens frileux. Le Mali est une occasion de s’interroger sur les bénéfices réellement retirés par notre pays de sa disponibilité militaire. Un bilan reste à faire. On parle d’échec quand on ne peut plus franchir une nouvelle étape. Une première manche a été remportée en évitant la prise de Bamako puis en ciblant les zones refuge de l’AQMI. Une logique de désescalade et de stabilisation a été ensuite enclenchée qui s’est enrayée avec la régionalisation et le pourrissement du conflit. Le passage à une troisième étape est d’autant plus nécessaire que la contestation des pouvoir en place au Mali et au Tchad complique la donne. Le Mali est notre premier moment de solitude. Les Français ne se sont pas exposés en Irak en 2003, ont quitté l’Afghanistan avant les autres, ont pris des risques calculés en Irak et en Syrie. Au Mali la France est plus que jamais face à elle-même.

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Par Louis Gautier

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