Des alliés sur la défensive, en Asie aussi

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Des alliés sur la défensive, en Asie aussi
Publié dans la chronique du journal Les Échos, le 03 avril 2025 : Trump : en Asie aussi, des alliés sur la défensive

L’Ukraine focalise l’attention, en tous cas en Europe. La guerre n’est pas finie et les conditions de sa cessation engagent la sécurité du Vieux Continent. Les prises de position successives de l’administration Trump pour arrêter le conflit inquiètent.  Après que la confiance des Ukrainiens a été trahie, c’est la garantie militaire américaine accordée depuis 1945 à ses alliés européens qui semble avoir perdu toute valeur. Ce qui est désormais en cause est la viabilité de l’OTAN et la capacité des Européens à prendre en main leur sécurité collective. L’impératif est au réarmement. Tous les budgets militaires européens connaissent une augmentation historique. Mais qu’en est-il en Asie ?

Les alliés asiatiques des États-Unis ne sont pas épargnés par les diatribes et admonestations de Donald Trump.

Louis Gautier

Ils subissent aussi chantage commercial et hausse des tarifs douaniers. Le contexte stratégique asiatique est cependant très différent du contexte européen ; le risque de défaut américain y est à la fois moins évident et plus grave. 

Face à la Chine, considérée comme menace centrale et multidirectionnelle, il est en effet difficile aux États-Unis de s’aliéner indistinctement leurs partenaires asiatiques. Les Américains qui, pour régner, jouaient jusqu’à présent l’union des Européens, ont d’ailleurs toujours inversement pris soin de maintenir divisés, en les catégorisant, leurs alliés asiatiques.

Le système d’alliance dans l’Indo-Pacifique n’est ni global ni intégré à l’instar de l’OTAN. Il s’agit plutôt d’un réseau enchevêtré d’accords bilatéraux de partenariats stratégiques, de coopérations militaires et de contrats d’armement structurants. L’Australie, le Japon, la Corée du Sud, les Philippines constituent ainsi autant de points d’appui essentiels à la tenue d’un rapport de force indispensable pour contrer les aspirations hégémoniques chinoises dans la région. Les États-Unis y disposent d’une vingtaine de bases militaires où 95000 de leurs soldats sont stationnés. 

Les cartes ne peuvent donc pas être rebattues de façon semblable en Europe et en Asie. Les Européens, à condition de s’accorder, peuvent raisonnablement envisager de rétablir, sans les États-Unis, un rapport de force continental à leur avantage face à la Russie ou tout autre perturbateur de leur sécurité, en particulier en Méditerranée. D’ores et déjà, le total des crédits militaires des pays membres de l’Union est trois fois supérieur au budget de défense russe. Avec la France et le Royaume-Uni, l’Europe n’est pas privée d’un atout nucléaire. 

Le total cumulé des dépenses des quatre principales puissances militaires, Australie, Japon, Corée du Sud, Philippines, Thaïlande est inférieur à la moitié du budget militaire chinois.

Louis Gautier

Il en va autrement en Asie. Le total cumulé des dépenses des quatre principales puissances militaires, Australie, Japon, Corée du Sud, Philippines, Thaïlande est inférieur à la moitié du budget militaire chinois. Pour parvenir à l’égaler, il faudrait que tous ces pays consentent un effort de défense équivalent à 3,5% de leur PIB quand seule la Corée atteint aujourd’hui 2%. Aucune de ces puissances n’est de surcroît en possession d’armes nucléaires. Le maintien d’une relation positive avec les États-Unis, à court terme, sera donc, coûte que coûte, recherché aux prix de bien des concessions et des transactions. 

La plupart des pays de la zone vont cependant sur le long terme chercher à diversifier leurs risques. Les budgets militaires sont ainsi en hausse partout en Asie et les besoins d’armement réévalués. La question nucléaire, hier taboue, alimente maintenant le débat public en Corée du Sud comme au Japon.

Cette situation offre des opportunités et des marchés aux industriels européens. Elle suppose aussi de l’inventivité diplomatique pour créer de nouveaux cadres de coopération et de concertation entre puissances régionales d’abord (tel cet Asian Quad réunissant Japon, Inde, Australie, Indonésie proposé par certains) mais aussi avec l’Union européenne.

L’Union européenne, si elle parvient à devenir un acteur stratégique et diplomatique à part entière, peut en effet peser comme une puissance d’équilibre, soucieuse de non-prolifération, de régulation internationale et de respect du droit pour éviter un chaos mondial. La déflagration stratégique créée par le défaut ou les doutes inhérents à la garantie militaire américaine ouvre aux Européens, en Asie aussi, un espace de coopération à combler pour préserver la prospérité et la paix.

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Par Louis Gautier

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