Le commerce, pas plus que le droit toujours en retard d’une guerre, n’a jamais empêché les conflits. Montesquieu avait donc tort. Hier comme aujourd’hui, malgré l’interdépendance très poussée des économies, le “doux commerce” ne pacifie pas inéluctablement les rapports entre les Nations. La multiplication des confrontations armées au cours des dix dernières années suffit à le prouver.
La guerre, dans ses formes actuelles, n’empêche pas non plus le commerce. Il en allait tout autrement jadis quand guerre rimait avec blocus, destructions des voies de communication et des flottes marchandes. La guerre commençait même par une contraction brutale des échanges marchands. En 1914, le commerce mondial fut divisé par deux en six mois. Les conflits contemporains jusqu’ici confinés géographiquement et circonscrits militairement sont pour l’économie mondiale des éléments de perturbation bien moindres que par le passé, tout juste des trous d’air. Les grands acteurs internationaux -Etats ou entreprises- s’en accommodent d’autant plus facilement qu’ils sont économiquement supportables. Business must go on.
Business must go on.
Louis Gautier
Les longues guerres d’Afghanistan et d’Irak n’eurent qu’une incidence marginale sur les échanges internationaux. Les sanctions économiques imposées à la Russie, sans être privées de portée, sont assez facilement contournées. L’attaque du Hamas contre Israël n’a eu qu’un impact limité sur le prix du baril et les cours de bourse. La guerre n’est d’ailleurs pas à l’origine des grands désordres économiques récents. L’indice des échanges a considérablement plus chuté durant la crise des subprimes ou la pandémie de Covid-19 qu’après l’agression russe contre l’Ukraine. Le rapport 2023 de l’OMC, à cet égard, signale moins un recul des échanges après 2022 qu’une fragmentation naissante des marchés pour des raisons liées d’abord aux changements climatiques, ensuite à la sécurisation des approvisionnements, enfin à la consolidation autour de Kiev et de Moscou de réseaux d’appui à leurs efforts de guerre.
Si le commerce n’interdit pas la guerre, si les guerres actuelles n’entravent guère le commerce, elles boostent en revanche comme jamais les dépenses militaires et les ventes d’armes. On atteint aujourd’hui des sommets. Selon le dernier rapport du SIPRI, les dépenses militaires, en 2022, ont dépassées 2 240 milliards de dollars. Si leur montant n’a jamais été aussi élevé, leur part dans le PIB mondial s’est relativisée. La course aux armements est d’autant moins contenue que la ponction qu’elle opère sur la richesse des nations est finalement plus limitée.
Ces considérations ne mènent cependant pas à une conclusion lénifiante. C’est sur un volcan que l’on danse. Sans en être la cause première, les conflits actuels aggravent en effet la fragmentation du commerce mondial. Ils favorisent un découplage entre grandes régions économiques sur fond de tensions géopolitiques structurantes, à commencer par celles entre la Chine et les Etats-Unis. La course aux armements et les trafics qui la parasitent, tel celui alimentant les armureries de Gaza, sont en soi belligènes. De multiples foyers (Yémen, Haut-Karabagh, Sahel, Ukraine, Israël…) entrent aujourd’hui en résonance. Ils ne sont pas reliés par un même motif, comme la lutte contre le terrorisme de 2001 à 2021, mais ils potentialisent des clivages géopolitiques de plus en plus marqués entre pôles de puissances. Pour cette raison, à l’instar des coups de Tanger (1905) ou de la prise de Nankin (1937), à la veille des deux guerres mondiales et toutes proportions gardées, ces conflits font redouter une conflagration plus ample dont ils seraient les signaux avant-coureurs. Il est donc important de les prendre tous très au sérieux, de maintenir une ligne de fermeté face aux agresseurs qu’il s’agisse en particulier de la Russie ou du Hamas et de son parrain l’Iran. Les Occidentaux auraient tort néanmoins de monter dans les tours. Eviter le pourrissement mortifère du conflit Ukrainien ou l’emballement d’une guerre en Palestine suppose de gérer l’épreuve de force dans la durée, ce qui implique de ne jamais fermer la voie à des issues négociées, même seulement temporaires et partielles. Voilà ce que les seuls intérêts économiques bien compris des uns et des autres ne sont pas en mesure de produire. La paix n’est pas une résultante spontanée du commerce mais une construction politiquement réfléchie.
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